Eve fut presque surprise de répondre avec autant de légèreté et de gravité à la fois, à l'individu qui lui adressait la parole. Il lui semblait que depuis qu'elle s'était retrouvée mêlée à cet univers, elle n'avait plus réussit à communiquer avec cette aisance qu'elle possédait autrefois. Faire la discussion était un supplice auquel elle devait s'adonner plusieurs heures par jour dans son ancien établissement, et elle récoltait toujours les mêmes encouragements hypocrites, tandis que plus tard ce même personnel, griffonnait nerveusement sur leur rapport un manque d'effort et un manque prononcé pour la sociabilité. Mais en fait, ce qu'elle ne réalisait pas, c'est où elle avait atterrie. Pas stressée pour le moins du monde, aucunement apeurée par ce décors, elle semblait se soucier uniquement de trouver son dortoir et s'assurer que l'administratif était chose fait et régler. Sans avoir encore put prendre compte du bordel dans lequel elle venait de débarquer. Le regard du jeune homme qui l'a détaillait lui fit froid dans le dos. Elle lui avait trouvé un air charmant, même à travers ce masque étrange, qui devait filer les jetons à qui le croisait en pleine nuit. Puis, en l'étudiant d'un peu plus près elle avait cru lire une certaine dureté sur ses traits, des muscles tendus et un regard intense. Quelles horreurs avait-il bien put commettre ou vivre celui-là?
Elle ne remarqua bien sur pas son regard insistant sur ses cheveux, ses yeux et le reste de sa personne. Elle ne remarquait jamais ce qu'elle pouvait susciter, ce qui agaçaient certains, et amusaient les autres. Elle venait de se présenter, et elle le savait, son prénom laissait souvent place à un petit silence, le temps que l'individu se remémore l'origine de son prénom, même si peu en connaissait réellement la signification.

Tandis qu'il hochait faiblement la tête devant ses présentations, elle nota la qualité de ses vêtements et imagina le prix que ceux-ci pouvaient avoir. Il revenait de l'extérieur, comment se faisait-il qu'on l'avait ramené, enchaîné, avec un Directeur très, peut-être trop accueillant, et une attitude qui ne pouvait en aucun cas son habitude des lieux et de son atmosphère? Et plus elle rajoutait de question, et plus la question lui parut évidente et claire dans son esprit. Il s'était enfuit. On l'avait retrouvé, et ramené.
Une lueur d'admiration brilla un instant dans ses yeux tempétueux mais elle se ravisa presque immédiatement. Il avait voulu s'enfuir. S'était enfuit. A première vue il était plutôt costaud et robuste. Qu'avait-il fuit ainsi? Elle se sentit alors devenir de plus en plus petite et seule dans ce hall immense et froid. Il lui semblait qu'elle réalisait où elle venait de plonger, et qu'il lui faudrait surement se former une carapace pour y vivre librement. Toutes ses choses auxquelles elle n'avait pas pensé, tant son transfert lui avait été annoncé tardivement. Elle n'avait pas prit le temps d'y réfléchir, comme si Teenagers n'arriverait jamais. Plus tard... Plus tard... Mais à présent elle y était.

"Eve ? Jolie prénom. On me surnomme Creazy. Et ton impression est exact, je connais effectivement les lieux, et j'ai à nouveau droit à ma chambre attitrée ici, après mes petites vacances. J'ai même eu droit à l'accueil privé du Directeur pour me tamponner ma carte de fidélité. Bref, je pense que je vais arrêter l'humour ici. Dis moi, pourquoi tu es ici ?"

Elle reçut ses compliments avec sympathie, au moins il ne lui plantait pas directement dans le cœur les qualités noires de cet établissement. Il cherchait plutôt à la mettre à l'aise. Être agréable sans faire passer pour autant le lieu comme enchanteur. Elle apprécia sa voix et son surnom lui fit hausser un sourcil interrogatif. Elle comprit alors qu'elle venait de tomber sur un sacré personnage. L'ironie qu'il plaça sur le terme de "Vacances" ne fit qu'approuver l'idée qu'elle s'était faite sur sa situation. Il était parvenu à prendre la fuite. Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'était qu'il lui demande directement ce qu'elle venait faire ici. Dans son ancien établissement les patients s'évitaient, honteux de se retrouver dans un lieu pareil, aux regards des autres, jugés par d'autres individus perturbés. Elle prit conscience qu'ici au contraire ils s'en fichaient. Il n'y avait aucune honte puisque les cas n'en n'étaient plus aux simples formalités. Elle était passé dans un nouvel univers. Et il fallait bien qu'elle lâche cette vision de l'institut sérieux et encadré. Ici, ça sentait déjà la peur et la folie.

"Je... Je n'aime pas vraiment en parler. C'est compliqué et..."

Heureusement elle n'eut pas besoin d'inventer une excuse, chose pour laquelle elle n'était vraiment pas douée, le mensonge et tout ça, quand il tendit la main vers sa valise. Elle trouva le geste très polit et le gratifia de son plus beau sourire, chose qu'elle n'avait pas fait depuis une éternité. Près de deux ans qu'elle n'avait pas reçu la moindre galanterie, ou courtoisie d'un jeune homme. C'était agréable. Elle eut un frisson quand il la frôla, et pour le réprimer elle agrippa l'autre côté de la valise, qu'ils la soulèvent à deux. Elle n'était pas non plus un petit être fragile, et préférait l'aider, que le regarder porter seul ses affaires.
Il ajouta avec un léger sourire:
"Bienvenue en Enfer ! Chambre ou dortoir ?"

Elle resta immobile quelques instants et répondit simplement Dortoir. Ils s'avancèrent vers des escaliers puis un couloir. Elle posait un regard intrigué sur la décoration mais ne parvint plus à cacher son appréhension. Il fallait qu'elle parle, qu'elle lui demande.
"C'est gentil de m'accueillir et de m'aider. Pour être franche, j'ai passé deux ans dans un institut comme celui-ci, on ne savait pas quoi faire de moi, où m'envoyer. Mon cas n'avançait pas. Et j'ai apprit ce matin que j'atterrirais ici. J'ai l'impression de débarquer avec mon regard naïf, mes idées toute faite dans un établissement inconnu, non en fait, dans un autre monde..."
Elle lui prit avec douceur la poignée des mains et fit sortir les roulettes. Elle savait sa main en feu.
"J'ai bien comprit que tu t'étais enfouit. Mais ils t'ont retrouvé, ramené ici comme un trophée. Ce directeur il m'a... Terrorisé. Il m'a offert la nette conviction que je ne sortirais jamais d'ici alors... Ça dépasse ce à quoi je m'attendais. Ce que j'ai connu. Et je ne suis pas stupide, encore moins prétentieuse. Je sais que c'est gonflé de te demander ça alors que je ne t'ai pas répondu sur moi mais... Qu'est-ce que tu fuyais ici? Où ais-je clairement débarqué? En enfer, comme tu viens de me le dire, c'est ça?"

Ses yeux scintillèrent d'une lueur de métal, révélant un regard chargé d'attention et d'émotions. Il fallait qu'il parle, qu'il lui dise. Elle n'était pas une gamine stupide. S'il lui répondait franchement, elle était même prête à faire abstraction de cette pudeur qu'elle avait, sur son passé.